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Sous la Lumière de La Révélation d'Arès : l'actualité, l'activité humaine, la pensée, le salut
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Sartre aurait cent ans

Peut-être, s'il avait vécu jusqu'à cent ans, aurait-il connu La Révélation d'Arès et enrichi de spirituel et de joie son existentialisme.

     

Ni croyant ni précurseur de la liberté spirituelle,
il aide cependant des croyants à gagner leur liberté spirituelle
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Sartre ne se doutait pas que sa philosophie aiderait un jour des croyants évolutifs, les Pèlerins d'Arès, à retrouver la vie spirituelle libre.
 

Nous étions dix ou quinze mille au cimetière Montparnasse. Juché sur une tombe, j’essayais de voir par-dessus la foule le cortège funèbre qui venait d’entrer dans l’enceinte. 1980. On enterrait Jean-Paul Sartre.
À Paris en mai 68, je l’avais entrevu sur le boul’ Mich, entendu à la Sorbonne. Dans les années 70 je l’avais écouté à la Mutualité. Ce petit bonhomme vieillissant au visage ingrat. Strabique divergent, ses yeux semblaient globuleux derrière une forte monture pour verres épais. Aux lèvres l’éternel mégot des grands fumeurs, alors communs. Parler sec, mais voix pénétrante.  Il respirait cette intelligence intellectuelle, qui depuis longtemps a réduit l’intelligence spirituelle à un faible lumignon (Rév d’Arès 32/5), sans se douter que sa philosophie aiderait des croyants évolutifs, les Pèlerins d’Arès, à retrouver la vie spirituelle libre. Si l’on m’avait demandé pourquoi j’étais là, j’aurais dit pour saluer le tribun interpellant, sans être entendu, les ouvriers embauchant au petit matin chez Renault, le coauteur de « On a raison de se révolter » ou le rédacteur en chef de La Cause du Peuple, si peu lu.
Autant dire que je ne recherchais pas Sartre pour le plus important de son œuvre, mais c’était parmi les intellectuels écoutés, de droite ou de gauche, un des rares qui avait tendu l’oreille aux jeunes. Au cimetière Montparnasse, je m’imaginais comme le petit peuple « éclairé » saluant son grand homme ainsi qu’il avait salué Victor Hugo, toutes différences considérées entre deux siècles. Je me trompais. Hugo, lui, avait vraiment eu pour lectorat le petit peuple, connu des éditions de masse. Sartre non, trop cérébral. Mais si Sartre avait reçu les funérailles nationales réservées à Hugo, quelle impression générale aurait-il laissé ? Les honneurs ou l’indifférence que montre à un grand penseur le pouvoir peuvent en relancer ou enfouir la pensée. Le pouvoir, Sartre l’avait beaucoup agacé. Les milieux intellectuels aussi, par ses engagements successifs. Revirements sensés ou insensés ? Ce fut selon qu’on vit en Sartre une pensée honnête, donc évolutive, changeante, ou qu’on considéra qu’une pensée digne d’intérêt dût être monolithe.

 

 
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Zomm sur l'image L'arbre existentialiste selon Emmanuel Mounier (1947).

« On n’enferme pas Voltaire, » s’était écrié le conformiste De Gaulle à propos de Sartre, accordant ainsi à l’un des génies les plus anticonformistes de France une reconnaissance semi-officielle. Jeune, je ne connaissais presque rien de la philosophie de Sartre. En mûrissant je découvris qu’il était un des plus profonds penseurs de la liberté humaine, un qui avait compris que tout homme recèle la liberté absolue de dépasser le déterminisme que le monde estime, ou souhaite, indépassable. On peut choisir son destin, c’est ce que Sartre concentra dans sa formule fameuse : « L’existence précède l’essence ». Philosophant toujours trop pour devenir populaire, il dit aussi : « L’homme authentique ne perd jamais de vue les buts absolus de la condition humaine. Il est pur choix de ses buts absolus. » Pas le premier rappel depuis Socrate, mais rappel toujours combattu, étouffé, nié, par les dominateurs (Rév d’Arès 29/2, 28/21, etc.). Ce rappel de la liberté absolue latente en tout homme, les Pèlerins d’Arès l’entendraient à leur tour en 1974 par La Révélation d’Arès.
Cette concordance entre le mécréant Sartre et le Dieu qui n’intéressait pas Sartre frappe, parce qu’elle montre que pour l’Éternel la vérité est au-dessus des religions comme pour Sartre elle est au-dessus des politiques. La Révélation d’Arès invite tous les hommes à se libérer « des enseignements trompeurs et des pouvoirs illusoires (Rév d’Arès 7/4) », notamment ceux des princes du culte, lequel est autant le culte des institutions politiques que le culte des institutions religieuses.
Dans ce Jean-Paul athée, quoique surnommé pape de l’existentialisme — « Je parie sur l’homme, pas sur Dieu, » disait-il —, honoré à sa mort dans d’immenses pays lointains non catholiques : Chine, Russie, Inde, etc., comme un autre Jean-Paul, de Rome, le serait dans les pays où domine son église, il faut saluer une sorte de protodéfenseur involontaire du message qu’allait devoir diffuser le frère Michel, témoin de La Révélation d’Arès.

Pourquoi Jean-Paul Sartre et pas Raymond Aron ?
2005. Vingt-cinq ans après sa mort, la France et le monde célèbrent le centenaire de la naissance de Sartre. Pourquoi ne fête-t-elle pas aussi brillamment Raymond Aron, son camarade de Normale Sup, né lui aussi en 1905 ? Sans doute parce que la France n’a plus de philosophe de l’homme essentiel et commence par sentir ce vide, qu’essaie mais ne peut pas remplir la politique. Or, Aron était surtout un philosophe de l’homme politique. La pensée d’Aron dépassait rarement les limites de l’histoire et de la politique ; elle n’eut jamais l’étendue ontologique de la pensée sartrienne. C’est l’existentialisme de Sartre, sa réflexion sur la liberté absolue — qui annonce inconsciemment la possibilité absolue du dépassement des temps, le passage hors du temps (Rév d’Arès 12/6) —, qui rend son œuvre à jamais supérieure, pour autant qu’on puisse en systématiser la complexité. La parole du créateur donnée à Arès en 1974 vient le corroborer.
Raymond Aron se disait lui-même un « spectateur engagé dans son siècle », très peu au-delà ; de là sa myopie philosophique. Sartre, dont la vue physique était si mauvaise, voyait très loin par la pensée, si loin que ses audaces pouvaient passer, à tort, pour des contradictions. L’horizon de son œuvre est trop large pour éviter le flou, mais sa direction générale était bonne. Il était proche du pragmatisme arésien qui considère qu’en matière de vie spirituelle forger l’avenir du monde — la vérité, c’est que le monde doit changer (Rév d’Arès 28/7) — est plus important que contempler l’état des choses. « Ce n’est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons. C’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes, » affirme-t-il dans Situations. À sa femme Simone de Beauvoir il écrivit : « J’ai voulu que ma vie et ma philosophie soient une seule chose. » Très proche de ce que dit un Pèlerin d’Arès : « Je veux que ma vie et ma foi soient un seul et même accomplissement. »

 

 

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Zomm sur l'imageComme sur cette photo avec le che, Sartre flirta avec tous ceux qui bougeaient à son époque.

©Wikimedia Commons

 

Toute l’œuvre de Sartre respire son existentialisme. Dans ses erreurs mêmes — Sartre n’en a pas manqué, tout explorateur de la liberté semblant toujours plus ou moins errer — on voit son existentialisme. « L’homme (qui) n’est que ce qu’il s’est fait » ne se fait par moments rien de plus qu’un insecte, dont « la tarière voudrait percer une montagne (Rév d’Arès 31/06). » Sartre ne connaissait et, étant incroyant, n’aurait probablement voulu ni La Révélation d’Arès ni l’enseignement de son prophète pour lui fixer « la direction de certitude » (Nous Croyons, Nous Ne Croyons Pas, Michel Potay). Même ceux qui en disposent aujourd’hui ne se sentent pas encore à la hauteur de la tâche. Sartre d’ailleurs ne cessa pas de rechercher une morale qu’il ne trouverait jamais, dont resteraient seulement des notes, certaines publiées dans Cahiers pour une morale. Apôtre de l’engagement, parce que, « condamné à être libre », l’homme est, qu’il le veuille ou non, dit-il, « engagé au monde » — le non-engagement étant aussi pour lui une forme d’engagement —. Sartre ne cessa pas de s’engager dans des causes qu’il estimait conformes à l’humanisme existentialiste. S’opposant à toutes les menaces du déterminisme, qu’il soit rationaliste, marxiste, religieux ou psychanalytique, il affirma que « l’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous ». Autrement dit, Sartre sans le savoir ouvrait la voie au pénitent. En effet, comme le rappelle Michel Potay dans Le Pèlerin d’Arès 1993-96 (ch. Liberté), si à travers sa famille, son milieu social, son éducation, l’homme hérite d’un premier destin qu’il ne choisit pas, « une existence de base », il peut, devenu adulte, par sa volonté dégager « un second destin ou essence. » C’est ce que fait le pénitent au sens que donne au mot La Révélation d’Arès, l’homme en quête volontaire du Bien.

Sartre flirta avec tous ceux qui bougeaient à son époque. Comment s’en étonner ? D’abord il flirta avec le parti communiste, dont l’influence était très forte après la seconde guerre mondiale. Il en devint un « compagnon de route » jusqu’à son rejet du stalinisme, quand l’URSS envahit la Hongrie en 1956. À travers la revue « Les Temps Modernes » il apporta son appui anticolonialiste au Vietcong en Indochine, au FLN en Algérie. Sartre, Beauvoir, Merleau-Ponty (philosophe moins connu, mais considérable), Aron, avaient créé « Les Temps Modernes » en 1945. De grandes plumes comme Albert Camus y collaboreraient. Aux gauchistes maoïstes, dans l’après-68, il prêta sa notoriété et son soutien critique. Il devint, plus par devoir et sympathie que par goût de l’autorité et de l’administration, directeur du périodique La Cause du Peuple, puis du quotidien Libération. Véritable Pardaillan — son héros de cape et d’épée préféré quand il était enfant —, il intervenait sur tous les fronts. Sa praxis — lisez ses actions, un de ces mots, celui-ci emprunté au marxisme, dont il usait sans cesse, mais qui le rendaient opaque à la masse — fit de sa vie une perpétuelle « enfance mise à toutes les sauces. » Il ne cessa jamais d’être attentif au monde. Un vigilant soucieux de justice et de liberté, cherchant toujours d’où venait le vent de la jeunesse et de la nouveauté, même si, n’étant pas homme de vie spirituelle, il fut, inévitablement, autant en porte-à-faux qu’en accord avec le Vrai (Rév d’Arès XXXIV/1-4).

 

 
 

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Sa philosophie se montra à peu près entière dans « L’Être et le Néant ».

 

Quand parut son maître livre « L’Être et le Néant », achevé en 1943, Sartre était déjà bien connu par un roman pessimiste « La Nausée » (1938), et remarqué dans les milieux académiques par quelques ouvrages philosophiques : « Théorie des Émotions (Esquisse) » (1939), « L’Imaginaire » (1940). Sa philosophie se montra à peu près entière dans « L’Être et le Néant ». Tout ce qu’il écrirait ensuite n’en serait, en somme, que le développement. Livre indigeste pour le grand public, Sartre devrait l’expliquer et même le vulgariser de multiples façons, notamment par une conférence d’octobre 1945, restée célèbre, qui donnerait son titre à un autre livre « L’existentialisme est un humanisme » (1946).
Raymond Aron lui proposa le poste de lecteur à l’Institut français de Berlin, qu’il accepta en 1933. Cette année-là Adolf Hitler fut élu chancelier d’Allemagne, mais l’événement laisserait Sartre indifférent, sceptique sur la pérennité du dictateur, mais aussi, quelques années plus tard, sur l’efficacité de la résistance au nazisme. À Berlin il découvrit avec enthousiasme la phénoménologie de Husserl, sa notion d’intentionnalité et que la conscience est toujours « conscience de quelque chose ». Plus tard il étudia l’interprétation phénoménologique de Heidegger — ouvrage majeur : « Être et Temps » —, grand existentialiste, peut-être le plus grand, lui-même disciple de Husserl. Sur ces bases Sartre forgerait sa propre philosophie, découvrirait la liberté absolue de tout homme, bien qu’il dût à jamais ignorer qu’elle est un des cinq dons par lesquels Dieu donna à l’homme sa nature ou image et ressemblance (Nous Croyons, Nous Ne Croyons Pas, Michel Potay).
Après « L’Être et le Néant » et « L’existentialisme est un humanisme » Sartre ne produirait pas d’œuvre philosophique majeure avant « Critique de la Raison Dialectique » (1960). Mais Sartre ne fut pas qu’un philosophe, il fut également un littérateur (romancier, auteur de théâtre).

Philosophe et littérateur, un dédoublement, cause probable de l’opprobre jeté sur lui. Le mouvement « existentialiste », qui devait beaucoup moins à la pensée de Sartre qu’à l’idée que s’en faisait la mode, se développa après 1945. La célébrité de Sartre était pour certains sulfureuse, pour d’autres prophétique. Son influence sur la jeunesse du monde entier était jugée par les uns désastreuse, voire « scatologique », et par les autres salutairement réaliste. Roger Garaudy, alors communiste, le traitait de « faux prophète ». Les croyants et autres bien pensants le traitaient de démon, évidemment. De cela Sartre dirait un jour : « La célébrité, pour moi, ce fut la haine. »
Le frère Michel, témoin de cette époque — avant d’être, 25 ans plus tard, témoin de La Révélation d’Arès — pense que Sartre divisa la France non par sa pensée d’ensemble, mais par un dédoublement qui le faisait voir soit philosophe, soit littérateur (romancier et surtout auteur de théâtre), mais rarement les deux. Or, le ton de sa littérature était, c’est vrai, pessimiste dans un après-guerre assoiffé d’optimisme et de joie, tandis que sa philosophie, moins incrédule, n’était connue que de ceux capables de la lire. Peu de gens faisaient le lien entre les deux. Frère Michel ajoute : « Je ne crois pas un instant que Sartre fût pessimiste sur l’homme, mais j’ai toujours soupçonné qu’il lui fallait vivre et que, le théâtre défaitiste donnant au spectateur l’impression d’être intelligent, Sartre y vit un bon truc pour faire de bonnes recettes. Ainsi "Les Mains Sales" (1948) fut un succès financier, mais donna à Sartre une réputation de démoralisateur et corrupteur. Il s’en fichait à l’époque, mais je pense qu’il le regretterait (sans le dire) plus tard. »
Dommage ! Ce ne fut pas par sa pensée profonde, ce fut par son œuvre littéraire plus distrayante, mais moins philosophiquement substantielle, que le grand public jugea Sartre. Ses romans : « La Nausée » (1938), « Les chemins de la Liberté » (1945), « L'Âge de raison » (1945), « Le Sursis » (1945), « La Mort dans l'âme » (1949), et son théâtre, parfois filmé : « Les Mouches » (joué dès 1943), « Huis-clos » (1944), « Les Mains Sales » (1948), « Le Diable et le bon dieu » (1951), « Nekrassov » (1955) et « Les Séquestrés d'Altona » (1959).

 

 
 

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Tombe de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (Cimetière Montparnasse, Paris, France)
©Wikimedia Commons

 

Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir formèrent une union libre parfois chaotique, mais fidèle jusqu’au bout. Il l’avait rencontrée en 1928 et la surnommait Le Castor. Sartre disait, ce qui n’était pas flatteur pour Simone : « Je préfère parler avec une femme des plus petites choses que de philosophie avec Aron. » Il aimait la compagnie des femmes qui souvent lui trouvaient du charme. Le Castor fut souvent premier lecteur et premier critique des œuvres de Sartre. Elle écrivait aussi, comme tout le monde sait. Frère de l’Aube, en 2004, évoqua « Le Deuxième Sexe » à propos de sa retraduction anglaise. Pas la première œuvre féministe dans le monde, mais une des plus remarquées. « On ne naît pas femme, on le devient  » disait-elle ; ces mots sentent la formule gratuite, mais révèlent une plume efficace.
Sartre et de Beauvoir, qui abhorraient les structures, ne se considéraient ni comme fondateurs ni même comme égéries du mouvement existentialiste d’après-guerre, mais le mouvement existentialiste naturel, disons plutôt sauvage — certains étaient appelés « les fauves » pour leurs crasse et odeur —, qui s’était formé autour de st­Germain des Prés à Paris les voyait comme leurs figures emblématiques. Ceux qui alors passaient régulièrement par le Café de Flore se souviennent que Sartre et de Beauvoir, qu’on y trouvait le soir à l’heure de l’apéritif, ne fleuraient pas toujours le savon. Nombre de célébrités du quartier, comme Boris Vian, Juliette Gréco et tant d’autres, taxés d’existentialistes, avaient peu de rapport avec la philosophie sartrienne. Il s’agissait plus, en fait, d’une grande bouffée d’esprit chahuteur et libertaire, au sortir des terribles contraintes de la guerre, que d’une nouvelle conception profonde de l’existence. En fait l’existentialisme — mot qui se répandit improprement, au grand regret de Sartre — n’était, quand il était véritable, et n’est encore qu’une discipline philosophique individuelle et rare. Collectivement, la démarche existentialiste semble maintenant trouvée dans quelques milieux spirituels, notamment chez ceux des Pèlerins d’Arès qui, depuis 1974, appliquent à leur vie personnelle un changement en bien (Rév d’Arès 30/11) en vue du changement du monde en bien (Rév d’Arès 28/7).

On avait « raison d’avoir tort » avec Sartre. De fait, l’existentialisme sartrien, « plus musclé que l’existentialisme chrétien d’un Gabriel Marcel » (Michel Potay, Le Pèlerin d’Arès 1993-96), allait survivre aux grandes idées philosophiques à la mode qui l’ont méprisé. Notamment les structuralistes — Lévy-Strauss, Foucault, etc. —, qui refusaient l’intuition et exigeaient des raisonnement rigoureux, ne voyaient que billevesées idéalistes dans l’existentialisme sartrien, qui cependant leur survit aujourd’hui. Il survit même aux marxistes qui ont encore plus ri de lui. Contre les antihumanismes l’existentialisme sartrien persiste dans l’autonomie indéfectible de l’individu et dans sa foi en l’homme, seul être « pour soi », livré au monde, sans garantie, absolument libre du choix de son essence.
« L’homme ne peut vouloir que s’il a d’abord compris qu’il ne peut compter sur rien d’autre que lui-même, qu’il est seul, délaissé sur la terre au milieu de ses responsabilités infinies, sans aide ni secours, sans autre but que celui qu’il se donnera à lui-même, sans autre destin que celui qu’il se forgera sur cette terre. Cette certitude, cette connaissance intuitive de sa situation, voilà ce que nous nommons désespoir : Ce n’est pas un bel égarement romantique, on le voit, mais la conscience sèche et lucide de la condition humaine (Revue « Action », 1944) » Les pèlerins d’Arès ne disent pas autre chose, à la différence qu’ils refusent le désespoir de l’existence en relevant les défis de la vie terrestre par le réveil de la Vie spirituelle, parce qu’ils savent que le pénitent n’est pas seul en retrouvant l’image et ressemblance de son créateur.
Quand Sartre dans « L’Existentialiste est un Humanisme » dit : « Même si Dieu existait, ça ne changerait rien, » il n’avait pas tort. Le sentier rocailleux sur lequel le pécheur écorche ses pieds (Rév d’Arès 25/5) quand il marche en direction du bien, Dieu ne le parcourt pas pour lui. Sartre, malheureusement, n’alla pas au bout de sa belle pensée. Il ignora que le sentier ne mènerait l’homme au bien que s’il mettait ses pas dans les pas du créateur (Rév d’Arès 2/12) pour qu’une puissante synergie existentielle s’opère entre créateur et créature et unissent leur nature spirituelle commune.
Nous pourrions dire que Sartre était quelque chose comme un Pèlerin d’Arès auquel il manquait la foi. Sartre est peut-être de ce point de vue « le dernier des philosophes » (« Sartre, Le Dernier Philosophe », Alain Renaut, Livre de Poche), c.­à­d., le dernier qui aurait cru que la philosophie devait encore « dire ce que c’était la vie, la mort, la sexualité, si Dieu existait ou si Dieu n’existait pas et ce qu’était la liberté, » comme ironisait Michel Foucault. Découvrant la liberté absolue, Sartre régla son sort à la question de la nature humaine vue intellectuellement. L’homme n’a que la nature qu’il se fait, point final. Cependant, Sartre en resta au désespoir de l’existence, bien qu’il continuât de parier sur l’homme jusqu’à la fin de sa vie. Humaniste athée, Sartre ne pouvait pas concevoir le créateur, mais s’il avait eu La Révélation d’Arès, peut-être l’aurait-il conçu à la manière moderne du Pèlerin d’Arès. De même il aurait peut-être conçu la restauration positive de l’homme par la pénitence, « l’interaction évidente entre l’esprit et la chair », et accepté qu’une « victoire finale de la conscience sur le péché vaincrait jusqu’à la fragilité physique de l’homme » (Le Pèlerin d’Arès 1993-96, Michel Potay).

 

 
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À la ressemblance de l’évolution spirituelle que suivraient à leur tour les Pèlerins d’Arès, Sartre comprit parfaitement que la pensée ne devait jamais s’enfermer dans des vérités toutes faites, se dogmatiser, mais qu’elle devait garder une dynamique ouverte à tous les possibles.
 

Si « l’existentialisme est un humanisme », Sartre fut-il un permanent apostat ? Superficiellement, certains pensent que oui. D’autres pensent que non, mais qu’il était tout à la fois philosophiquement juste, mais politiquement aveugle. D’autres encore pensent qu’il était sérieux en philosophie, mais qu’en politique il aimait effrayer le bourgeois. De fait, Sartre en 1958 jugea catastrophique le retour salutaire de De Gaulle dans une France devenue ingouvernable, il soutint le bloc soviétique dont il connaissait les crimes, il soutint le liberticide Castro et le terroriste Baader, etc. Peut-on comprendre cela ? Oui.
Frère Michel, témoin de La Révélation d’Arès, dit : « Je n’ai jamais été disciple de l’homme Sartre. Ma rencontre avec Jésus en 1974 ramena mon attention sur l’existentialisme et m’apprit qu’un existentialisme optimiste était possible, ce qui est autre chose. Ceci dit, certains disent de moi la même chose qu’ils disaient de Sartre. J’avais voté communiste avant 1974 et votais encore communiste ensuite jusqu’en 1988, ce qui porte ces gens-là à dire que, comme prêcheur de la vie spirituelle, j’étais un farceur. En fait, d’une part, je crois que le créateur ne fixe pas à l’humanité de politique, laquelle a des valeurs muables, mais lui recommande l’amour, le pardon, la paix, l’intelligence spirituelle, les valeurs immuables de la pénitence, source du bonheur, seul état social que vise la création. D’autre part, pourquoi aurais-je voté pour une droite qui est par sa nature conservatrice l’ennemie la plus dangereuse de La Révélation d’Arès, de l’homme absolument libre qu’elle annonce (Rév d’Arès 10/10) ? » Ceci nous aide à comprendre les apparentes contradictions de Sartre, qui, soit dit en passant, fut lui aussi traité de « farceur » quelquefois. Pourquoi aurait-il soutenu cette part de l’humanité qui, conformiste et conservatrice, combattrait de toute façon la liberté absolue, reconnue comme la vocation profonde de l’homme par les existentialistes, nombreux avant lui, de Socrate à Gabriel Marcel ?
Sartre, un scandalisé (Rév d’Arès 28/3) en route vers un monde meilleur et qui, de ce fait, suivait les méandres de sa recherche ? Difficile à affirmer. Frère Michel, prêcheur de l’existentialisme spirituel, n’était pas un scandalisé, acceptait bien son sort religieux avant que La Révélation d’Arès ne bouleverse sa vie ; il n’avait rien demandé ni même espéré de tel. Sartre eut peut-être aussi, de manière profane, une révélation, celle de Husserl et de Heidegger, sans passer par le scandale.

« Rien dans les mains, rien dans les poches,» dit-il dans « Les Mots ». Les bien matériels ne l’intéressaient pas. Il montrait à l’occasion une grande générosité. Il ne manquait pas du besoin de tendresse paternelle qu’éprouvent les hommes sans enfants et, l’âge venant, il adopta une fille en 1965. Il était bon vivant et plein d’humour. Par sa vie mouvementée, ses déclarations, ses engagements, son indifférence aux honneurs — son refus du prix Nobel en 1964 —, il s’attira quelques haines tenaces. Bien qu’il eût peut-être voulu ressembler à la fois à Stendhal et à Spinoza, ce que son œuvre multiforme pourrait suggérer, son quotidien fut celui d’un homme ordinaire : « Si je range l’impossible salut au magasin des accessoires, que reste­t­il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui (Les Mots). »
À la ressemblance de l’évolution spirituelle que suivraient à leur tour les Pèlerins d’Arès, il comprit parfaitement que la pensée ne devait jamais s’enfermer dans des vérités toutes faites, se dogmatiser, mais qu’elle devait garder une dynamique ouverte à tous les possibles. « Je ne ferai pas entrer Sartre dans l’Histoire, dit Jeannette Colombel, un de ses hagiographes. Ce qu’il redoutait le plus… était qu’on fige sa pensée, toujours capable de se renouveler, de se contester, si péremptoires étaient parfois ses affirmations dans le feu de l’action et de la polémique. » Toute son œuvre dit qu’il recherchait continuellement le dépassement, même au risque des paradoxes. Il s’observait beaucoup lui-même, non en pénitent qui s’observe pour se corriger, mais en épiant ses sensations en toutes circonstances, importantes ou banales, et s’en servant pour illustrer son œuvre, philosophique ou littéraire, ce qui donne à son œuvre — comme peut-être à toute œuvre — un sens autobiographique. Sur la fin de sa vie, devenu aveugle, il s’arrêta d’écrire et ne put pas terminer sa monumentale étude de Flaubert, « L’Idiot de la Famille ». Face à la disparition des grands idéaux, il réaffirma dans sa dernière interview : « Il faut d’abord "changer" nos têtes, construire des "îlots de fraternité", répondre aux urgences sans prétendre au bien commun, » (« Le Nouvel Observateur »), c.­à­d. sans prétendre à une réponse globale et définitive, montrant par là qu’il conserva jusqu’au bout sa conception existentialiste et sa foi en l’homme qui peut changer sa vie (Rév d’Arès 30/11, 28/4), ce que dit aussi le frère de La Révélation d’Arès, mais en y ajoutant ce que Sartre — comme c’est regrettable ! — n’ajouta pas à son existentialisme : la vie spirituelle. Mais peut-être, s’il avait vécu et connu l’événement d’Arès, aurait-il par là enrichi son œuvre ?

Frère Claude

 

 
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